Circuits en camping-car

Lettre ouverte à Sylvain Tesson

Mon cher Sylvain, je dois bien te l’avouer: t’accompagner le long de tes textes fut pour moi un fameux ascenseur émotionnel. Admiratif, bien sur. Jaloux, sans doute. Ému, parfois. Je suis aussi passé par des périodes de rejet complet, voir de mépris. Avant d’enfin comprendre et de t’être vraiment reconnaissant… Attends, attends, te fâche pas tout de suite: je t’explique.

Quand on voyage avec toi en lisant les Forêts de Siberie, fatalement, on ne peut que te croire sur parole. On est bien obligé. La Sibérie, c’est loin et pas à la porté de tous. Et puis, aussi parce qu’on en a envie. Vivre à côté dans ces étendues glacées au bord de ces lacs. On en arrive même à avoir un gout de Vodka dans la bouche en te lisant. C’est confortable de te croire sur parole et de tenter se ressentir, à travers tes mots, ce que tu as ressentis.

Et puis, voilà que je m’organise mon p’tit tour dans les Highlands: l’ile de Skye, le Loch Ness, la vallée du Glen Coe et les iles d’Orcades. Parcourir les mêmes lieux que toi dans ton dernier livre. Voir les mêmes falaises. Respirer le même air. C’est grisant. Quel excitation de faire ce même voyage que toi. Sauf quemoi, c’est de l’autre côté que j’ai parcouru ces lieux. Alors que toi, à bord de ton voilier, c’est tourné vers la terre que tu es parti vers le nord, en Capitaine Hatteras obsessionnel de ressentis et de compréhension des pierres. Et bien moi, c’est par la route que mon brave Serenity m’a emmené, en étant toujours tourné vers la mer et le vent.

Même route, mais vue différente. Toi vers l’est, moi vers l’ouest… Mais nous avons voyagé ensemble, vers le nord.

Et c’est là que tout s’est effondré, entre le Old Man of Storr et quelques fantômes d’Ardvreck. C’est là que Mais il a rien compris ? Mais non !

Avec moins de talent que toi pour le mélange des mots et les pensées puissantes et imagées, j’ai fait ce même voyage. Et là… ce fut le drame. La rupture. Le divorce ? Il n’est vraiment pas simple d’assumer cela. C’est comme dire qu’on aime pas une chanson de Paul Mac Cartney ou de Beethoven. Qui suis-je ? Triste voyage autoroutier collectionnant les Guides Vert Michelin ? Comment diable pouvoir me permettre de remettre en cause tes impressions. Bordel ! J’ai pas du tout ressenti la même chose que toi ! T’es sur que c’est bien le long de la côte écossaise que tu as jeté ton encre ?

J’en ai parlé aux fantômes du château d’Ardvreck et du village de Dunless sans vraiment obtenir de réponses satisfaisantes… Alors quoi ? Ne serais-tu qu’un autre influenceur de mots, n’ayant que le talent d’écrire de jolies phrases pour les murs Facebook des ménagères de moins de cinquante ans ? Sans aucune profondeur de la pensée ? Sans avoir rien retenu des histoires que l’on t’a raconté ? Des rencontres que tu as faites ? Bon sang, il y aurait deux Ecosses ?

Et puis… une fois n’est pas coutume… c’est l’alcool qui m’apporta cette illumination. C’est dans un pub sordide de Kirkwall que j’ai pu atteindre ma redemption. Ou ta rédemption…

Notre redemption ! Une pensée toute simple. Tellement évidente. Et tellement pleine de promesse à venir.

En fait… chacun fait son voyage.

Le voyage, la découverte, l’aventure, c’est un chemin que l’on fait soit même. Seul. Même la présence de ma jolie aventurière, aussi belle soit-elle, ne change rien à cela. Voyager, ce n’est pas chercher à cocher le maximum de checkbox. “Ok, j’ai vu le Cap Nord norvégien, que me reste t-il à voir maintenant ?”

Et b’in non. Et à l’aube de mon demi siècle, je viens de le comprendre. Ouais, jsuis pas rapide comme garçon…

Chacun fait son voyage. Son chemin. Chacun voit ses panoramas. Rencontre ses fées. Fait ses rencontres. Vide ses verres. Et oui, je n’ai pas fait le même chemin que toi. Nous n’avons pas foulé la même Ecosse. Je n’ai pas ressenti les mêmes choses que toi. Et oui, tes pensées (aussi justes, aussi belles et aussi bien écrites soient-elles) n’appartiennent qu’à toi. Et je peux revendiquer la même chose pour les miennes (aussi modeste soit elle).

Et donc, je peux le dire, cher Sylvain: j’ai vu les mêmes lieux que toi, mais tes fées ne furent pas les mêmes que les miennes. Ton voyage ne fut pas le même que le miens. Et même si ma maitrise du verbe et la façon dont l’alcool embrume mon esprit, n’est pas à la hauteur de la tienne, je n’ai pas à rougir de mon chemin, de mes rencontres et de mes pensées. J’aurais mis du temps à le comprendre. Vivement le prochain départ.

Sans rancune. J’espère.

Balade du Serenity

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